La Guerre des Changes (Episode III)
De la guerre des étoiles à la guerre des changes
Trente ans après le début de la guerre des étoiles, qui est souvent considérée comme l’une des causes de l’effondrement de l’Empire soviétique, Barack Obama serait-il en train de lancer l’Amérique dans une nouvelle guerre du pacifique ?
Pour paraphraser la célèbre phrase du Général de Gaulle sur les trois façons de se ruiner (la plus agréable les femmes, la plus rapide le jeu, la plus sûre faire confiance aux experts), nous pourrions dire qu’il y a trois façons de mener une guerre économique: la moins politiquement pénalisante, la dévaluation compétitive, la plus rapide, l’affrontement militaire, la plus sure, l’inflation.
Retour sur les années 90
En matière de dévaluation compétitive, la zone pacifique jouit d’une expérience récente avec la dépréciation du dollar de 1985 à 1987 qui a vu la parité passer de 259 Yen pour 1 dollar à 123 en moins de deux ans.
Le Japon a bien essayé d’utiliser la force de sa monnaie pour investir à l’étranger mais son économie a connu une inflation gigantesque de ses actifs, notamment boursiers et immobiliers, et trois ans plus tard, il a dû faire face à un effondrement de son système bancaire puis à une langueur prolongée de sa croissance.
Avec la guerre des étoiles l’URSS, a connu à la fois un affrontement militaire « froid » et une inflation de ses dépenses militaires. Cette course aux armements a conduit à un assèchement des ressources disponibles au détriment d’autres allocations civiles ou de politique étrangère. Le mur de Berlin est tombé en 1989, l’Union Soviétique a été dissoute en 1991 et la Russie commence à peine à retrouver un rang politique international.
Après un XX ème siècle marqué par trois « guerres » gagnées dans le Pacifique, l’Amérique va-t-elle pouvoir conserver son leadership sur le reste du monde et notamment sur la Chine.
Sur le plan militaire, les situations Russe du XX ème siècle et Chinoise du XXI ème sont assez différentes. Si le budget militaire de la Chine ne cesse de progresser depuis 2004, les dépenses militaires chinoises n'ont jamais représenté plus de 1,44% du produit intérieur brut. Selon le Stockholm International Peace Research Institute avec 100 milliards de dollars la Chine est encore très loin des Etats-Unis (+600 milliards de dollar). Cependant, les plus gros budgets militaires se concentrent sur les deux berges du Pacifique, avec une progression globale des dépenses militaires de 5,9% entre 2009 et 2008, et alors même que la croissance mondiale était en récession. (http://www.bbc.co.uk/news/10184610). Pour mémoire, il est sans doute bon de rappeler l’état des forces en présence, les Etats-Unis représentent 24% du PIB mondial, l’Europe, son alliée naturelle, 28% et la Chine, malgré ses 10% de croissance, seulement 8%.
Venons-en aux échanges économiques, les exportations représentent 27% du PIB Chinois avec pour principaux clients : l’Europe pour environ 20% et les Etats-Unis pour près de 18%. La moitié de ses excédents de devises sont investis en bons du trésor exprimé en dollar. Une dépréciation forte du dollar face au renminbi (Yuan) pénaliserait deux fois la Chine, une première fois sur le plan des exportations une seconde fois par la dépréciation de ses réserves en devises.
USA-Japon quelles leçons en tirer pour la Chine?
La Chine n’est pas non plus le Japon mais le spectre des années 90 au Japon doit être bien présent dans les esprits tant en Chine qu’aux Etats-Unis.
Petite comparaison des périodes japonaises 1984-1989 et chinoises 2005-2009
La dernière fois que le Pacifique a essayé de défier l’Amérique, la dépréciation continue du dollar face au yen a pour le moins limité le déficit des Etats-Unis face au Japon. Les marchés immobiliers et boursiers japonais se sont effondrés à partir des années 90, et sa croissance y est restée durablement atone.
Après la victoire militaire de 1945, la guerre économique contre le soleil levant a été une nouvelle fois gagnée.
Qu’en tirer comme conclusion ?
Fort de ce double succès, politique et économique, les Etats-Unis vont continuer à accentuer leur pression sur les différents leviers à leur disposition pour amener la Chine à jouer selon leurs règles et accessoirement à réévaluer sa devise.
- Diplomatique, la « communauté internationale » forme un front uni contre la Chine et la désignation du dissident Liu Xiaobo, « Pour sa lutte de longue durée et sans violence, en faveur des droits de l'Homme en République Populaire de Chine », comme prix Nobel de la Paix le 8 octobre, n’est ni innocente, ni sans influence dans le concert des nations
- Politique, avec le vote par le Congrès, le 25 septembre dernier, d'une loi donnant au Département du commerce le pouvoir d'imposer des droits de douane aux produits chinois dopés par la sous-évaluation du yuan,
- Militaire, avec par exemple leur vente, début février, de 6,4 milliards de dollars d’armes à Taiwan, dont des missiles sol-air,
- Economique avec le maintien d’une devise faible, des taux d’intérêts proche de zéro et un ensemble d’efforts soutenus de reflation de l’économie américaine par la Federal reserve:
L’enjeu pour la suprématie est un enjeu d’ego, la lutte des Empires ne fait que commencer et sera sans pitié.
Si le modèle d’« économie de marché à spécificité chinoise » a fait preuve d’un indéniable succès au cours des vingt dernières années, il n’en demeure pas moins que la Chine va devoir faire un nouvel effort de transformation si elle veut continuer à profiter des énormes ressources que lui apporte son commerce extérieur et éviter ainsi les troubles sociaux. Sa capacité de résistance aux demandes du reste du monde est assez limitée. Son marché intérieur est potentiellement le plus grand du monde, mais sa demande intérieure n’est pas encore prête à absorber ses excédents de production et cela la rend fortement dépendante de l’étranger.
Ses dirigeants politiques en sont bien conscients et ils mesurent pleinement que les changements demandés à la Chine sont importants, politiquement délicats et économiquement dangereux.
Son premier ministre, Wen Jiabao, a ainsi récemment déclaré :
«Une hausse de 20% du yuan provoquerait des pertes d'emplois sévères et une instabilité sociale, mettant le pays sur la voie d'un affrontement avec les législateurs américains qui demandent une monnaie plus forte.
Nous ne pouvons pas imaginer combien d’usines chinoises se retrouveraient en faillite, combien de travailleurs chinois perdraient leur emploi, et combien de travailleurs migrants seraient obligés de retourner dans leurs campagnes si la Chine acquiesçait aux demandes d’une réévaluation du Yuan de 20 à 40%. La Chine souffrirait alors de grands bouleversements sociaux. »
La Chine est à risque
Tout est dit, la Chine est à risque, son commerce extérieur est à risque, mais également son immobilier, son système bancaire, ses entreprises mais surtout son système social.
Derrière cette guerre des changes, que lui demandent implicitement les Etats-Unis et le reste du monde ?
Ce qu’ils avaient déjà demandé au Japon, c’est dire le passage :
1. D’un système économique et social privilégiant la cohésion sociale et les buts collectifs vers un modèle de compétition entre les individus et d’une recherche personnelle du bien être individuel,
2. D’une structure de marché oligopolistique favorisant les productions nationales et limitant la concurrence sur le marché domestique vers une économie ouverte où la concurrence et les prises de risques ont un caractère agressif,
3. D’un marché fortement réglementé et fortement dirigé par l’Etat vers un marché très fortement dérégulé où l’Etat n’intervient que lorsque les intervenants du marché le lui demandent,
4. D’un régime relativement protectionniste, favorisant les exportations sur les importations et limitant les investissements directs étrangers vers un régime de libre circulation des biens et des capitaux et de réciprocité dans les règles d’encadrement des échanges
5. D’un modèle de complaisance en matière de propriété intellectuelle, à un modèle de respect strict du droit des brevets et de répression de la contrefaçon.
Une guerre d’Egos
Dans cette guerre des egos entre le pays le plus peuplé du monde et le pays le plus riche du monde la lutte sera dure et peut-être aussi psychologique qu’économique.
La logique de l’interdépendance entre la Chine et les Etats-Unis, avec la première prêtant aux seconds pour que ces deniers achètent ses produits et continuent ainsi à faire tourner ses usines jusqu’à ce que son marché domestique puisse prendre le relais de la demande américaine, apparaît à première analyse favorable aux américains.
Le refus des chinois de réévaluer leur devise conduirait à des mesures graduelles de rétorsions qui seraient sans doute suivies par les autres pays occidentaux. Les centres de production seraient déplacés au Vietnam, en Malaisie, en Indonésie ou encore à Taiwan. Ceci profiterait rapidement à la diaspora chinoise fortement établie dans cette zone mais ne serait pas sans conséquence sur la stabilité intérieure de la Chine. Les autres pays émergents à faible coût de main d’œuvre, et notamment le Brésil et l’Inde pourraient bien voir dans ce conflit économique entre la Chine et les Etats-Unis une chance de regagner des parts de marché.
Les mesures de rétorsion en retour de la Chine face au durcissement de l’administration américaine, pourraient satisfaire son ego, mais auraient pour conséquence une réduction encore plus accentuée des échanges bilatéraux. Il s’en suivrait naturellement un affaiblissement sensible du pouvoir d’achat des consommateurs américains et des profits des entreprises multinationales, mais comme le dit fort justement le proverbe africain : « Quand la famine frappe, les gros maigrissent et les maigres meurent ». Aujourd’hui et pour quelque temps encore, les américains sont encore les plus gros.
Les confits étant par nature inflationniste, celui-ci ne devrait pas faire exception. Le renchérissement des produits de consommations qu’impliquerait une remontée de la devise chinoise ou des droits sur les produits importés de Chine, devrait conduire à une certaine reflation des économies occidentales très endettées, mais cela pourrait s’avérer une pas si mauvaise solution pour la gestion de la dette mais également pour relancer consommation et production atone tant aux Etats-Unis qu’en Europe.
Si l’Amérique veut maintenir son leadership, il lui faut défendre ses parts de marché avant que la Chine ne dispose d’un marché intérieur suffisamment solvable pour la libérer de sa dépendance extérieure.
Les deux pays le savent. La pression américaine va donc aller crescendo et la Chine va user de toute sa nouvelle puissance pour retarder l’appréciation de sa devise.
Dans cette période de transition, il est fort probable que le renminbi va s’apprécier à un rythme de plus de 10% par an face au dollar, que les industries de l’armement partout dans le monde vont être parmi les plus grandes bénéficiaires de ce mouvement, et que comme au bon vieux temps la confrontation va se déplacer en Afrique et au Moyen Orient.
Jean-François CASANOVA, Strategic Risk Management