Forum de l'énergie: Si les marchés n'arrivent pas à déterminer un optimum, la régulation peut-elle le faire?

Publié le par Risk-value

logo SRM v1Cette question posée par Gérard Mestrallet, président de GDF-SUEZ, en ouverture du 3ème Forum sur l'énergie de Paris Dauphine, interpelle à une époque où longtemps passée de mode la régulation semble avoir de nouveau le vent en poupe.

 



Avec « la Grande Récession », le retour en force de la régulation est tout à fait remarquable. Le consensus général autour d’un besoin accru de régulation partout dans le monde nous pousserait volontiers à paraphraser d'une manière iconoclaste le célèbre mot du Général de Gaulle:


"Bien entendu, on peut sauter sur la chaise comme un cabri en disant "Régulation!", "Régulation", "Régulation", mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien!".





La suite de l’intervention télévisé du 14 décembre 1965 mérite, 45 ans après sa diffusion, une seconde lecture tant est grande son actualité sur la difficulté de faire converger des intérêts divergents même si l’intérêt commun est consensuellement reconnu.

 

La question du dérèglement climatique et de ses conséquences sur l’avenir de la planète ne semble plus discutée que par quelques rares scientifiques comme Claude Allègre qui émettent encore "des doutes sur une théorie "officielle", estampillée par les médias et les politiques". S'ils sont très minoritaires, ils alimentent cependant un débat public qui passe très au dessus de la compréhension des non scientifiques et facilite ainsi le travail des différents lobbyistes qui travaillent sur le sujet. Ceux-ci œuvrent selon leur donneurs d’ordres, soit pour défendre des positions financières durement acquises, principalement les industries pétrolières et automobiles, soit pour favoriser l’émergence d’un nouveau marché bienvenu dans une conjoncture économique de surabondance de l’offre sur les marchés solvables traditionnels. L’industrie du gaz, généralement considérée comme une énergie propre, se trouve au confluent de ces deux courants. Gérard Mestrallet, se définissant en entrepreneur pragmatique et responsable, s’interroge tout en élargissant son portefeuille de métier aux domaines des services à apporter au consommateur en matière d’économie d’énergie.


Il est vrai que David de Rothschild rappelle volontiers que "l’argent et l’énergie ont ceci de commun d’être tous deux l’oxygène de l’économie". Sans oxygène pas de vie, et s'il advenait que l'oxygène vienne à manquer, il est impératif de se tourner vers les Etats pour faciliter par des mesures de bien commun le développement des économies d’énergies et autres énergies propres. La conjonction d’une régulation progressivement contraignante (Kyoto, Copenhague, Cancun...), d’aides à l’investissement et d’allègements fiscaux devrait tout à la fois protéger notre écosystème, relancer tout ou partie de notre économie (notamment le secteur de la construction car l’habitat compte pour 40% de l’énergie consommée dans les pays OCDE), et à terme (après un nouveau creusement de nos déficits), augmenter les recettes budgétaires nécessaires au remboursement de la dette contractée pour financer les investissements.


Tout cela serait parfait si le monde du XXIème siècle n’était pas devenu "global" et si cette belle mécanique pouvait s’appliquer uniformément à l’ensemble de la planète. Or comme le faisait justement remarquer Nicolas (pas celui auquel vous pensez) mais Nicolas Machiavel:


"Le Prince qui voudrait faire le bien, ne pourrait le faire parmi tant d’autres qui ne sont pas bons !".


Pourquoi, les autres, c’est toujours les autres, n’adhèreraient-ils pas à cette régulation sur laquelle nous autres Européens avons si durement travaillé en essayant de balancer les intérêts de notre industrie, ceux de nos partenaires américains dont nous savons tous qu’ils préfèrent de loin le marché à la réglementation, et ceux des pays en voie de développement que nous avons eu la courtoisie d’inviter au débat alors qu’il ne pèsent encore pas grand-chose en terme de PNB, que leurs émissions sont en outre scandaleusement élevées en phase de déploiement de leurs économies domestiques, même si ramenées à leur taux d’émission par tête d’habitant le ratio devient aussi maigre que celui de leur PNB/ha.


Nous touchons ici du doigt deux problèmes majeurs de l’économie: celui (ancien) de la répartition et celui (plus contemporain) de la négociation multilatérale.


L’économie politique peut assez facilement se comprendre par la recherche d’un équilibre de croissance, rarement durable, entre l’utilisation et la rémunération associée aux facteurs travail et capital. En économie fermée, l’équation peut se résoudre par un consensus démocratique évolutif, d’autant plus facile à atteindre que l’économie est en phase de croissance et que la demande est supérieure à l’offre. En économie ouverte, l’équation est plus complexe. Les différences de niveaux de développent des Etats les uns vis-à-vis des autres sont énormes: De quelques centaines d’Euro/habitant pour les plus pauvres à plusieurs dizaines de milliers d’Euro/habitant pour les pays OCDE.


Même si « le politique est toujours supérieur à l’économique », il n’en reste pas moins que le politique est souvent, sinon contraint, pour le moins sous influence de la situation économique du moment. Si dans les pays OCDE tout le monde s’accorde sur les bienfaits de la démocratie et sur son impact sur le développement et le bien-être des peuples, nous ne pouvons pas oublier la violence et les guerres qui ont construit l’Europe, ni les pratiques que nous désignerions aujourd’hui come anti-concurrentielles qui ont conduit le déplacement des « économies-monde » de la Méditerranée au nord de l’Europe puis aux Etats-Unis et peut-être demain en Asie. Cet état de fait explique facilement les divergences d’intérêts et peut-être de culture entre pays riches et pays pauvres.


Les premiers veulent conserver leur "avantages acquis", les seconds une part de la richesse mondiale plus en relation avec leur population. Les grands thèmes de réflexion des pays riches, qu’il s’agisse de droit du travail, de droit de propriété intellectuelle, d’énergies renouvelables, de protection de l’environnement ou de démocratie ne sont pour les pays pauvres que des "concepts de riches" et au mieux des marges de négociation pour améliorer les conditions d'application de l'aide au développement.


S’engagent alors des séries de réunions sous l’égide le plus souvent des Nations Unies pour arriver à un consensus acceptable pour toutes les parties sur une sorte de "règlement de copropriété" de la planète Terre.


Nous arrivons là à notre deuxième sujet sur l’obtention d’un consensus entre un grand nombre de participants, un sujet classique des relations multilatérales.


La déception généralement exprimée à la suite du sommet de Copenhague, avec l’inévitable recherche de responsabilité dans ce succès très relatif (pour le mieux), amène à s’interroger sur la faisabilité de l’obtention d’un tel accord.


Jean-Louis Borloo, dont l’analyse des résultats de Copenhague a évolué de la déception à une compréhension des causes de l’échec, confie être toujours à l’écoute et à la recherche, si ce n’est de solutions, de propositions pour arriver à une réglementation acceptable par tous. Outre les facteurs culturels et la puissance des lobbies, il y voit le refus des représentants des pays moins avancés (PMA) de se soumettre à une réglementation perçue comme impérialiste et donc non acceptable pour des pays souverains.


Si cette dernière analyse pose bien la nature du problème elle n’apporte pas encore à ce stade de solution opérationnelle pour arriver au consensus recherché. Jean-Louis Borloo n’est pourtant pas un néophyte en matière de négociations difficile, il avait même devant le Conseil Economique et Social développé une méthode de résolution de ce type de négociations multipartites sur des sujets complexes.


Les grandes lignes de notre compréhension de la démarche sont intellectuellement attractives.

 

Tout projet nécessite avant toute chose la définition d’un cadre et de règles de gouvernance pour l’atteindre ceci suppose de :

 

  • Réaliser un diagnostic partagé par les différents sponsors du projet,
  • Identifier les grands acteurs opérationnels ("Les Autres"),
  • Tenir compte du caractère multidimensionnel du projet et de l'évolution des regards,
  • Etablir un plan de communication,
  • Rassembler un pool de compétences pour légitimer la structure,
  • Choisir des partenaires dans le cadre d'une gouvernance sans acteurs propriétaires des moyens
  • Obtenir une concordance dans la méthode avec concertation, mais aussi parfois confrontation, dans le respect des règles internationales de négociation,
  • Gagner l'engagement des acteurs sur des objectifs et des fins partagées,
  • Mettre en oeuvre un plan d'action concerté et partagé

 

 

Une fois que la définition du cadre et des règles de gouvernance auront été arrêtées, le plan d’action pourra être déroulé comme suit :

 

  • Obtenir des sponsors le financement nécessaire à la réalisation des études,
  • Réaliser les études préliminaires sur l'impact économique et politique du projet
  • Sélectionner et documenter deux ou trois sous-projets susceptibles de mettre en évidence les aspects développement, écosystème, énergie propre, mais également les aspects économique et politique (sur le plan de la méthode, une synthèse du diagnostic partagé par les différents sponsors du projet et des objections de chacun devra être analysée et discutée dans la partie dédiée aux risques associés aux projet et sous-projets),
  • Bâtir le plan de communication et les road-shows sur les réseaux propres aux sponsors, le caractère pragmatique du leader, et la rigueur de l'analyse des projets.

 

 

Celle belle mécanique française n’ayant visiblement pas produit les effets escomptés, doit-on chercher dans l’approche américaine les raisons de cet échec comme semble l’avoir indiqué à la suite du Président Lula un certain nombre de participants au sommet de Copenhague ?

 

Une réponse plus nuancée, est peut-être à trouver dans l’analyse développée par Dominique Moisi dans ""Le choc des émotions", au sein duquel il analyse sous l'angle de la perception collective de "l'autre" la situation actuelle mondiale. Dominique Moisi éclaire le "choc des civilisations" en introduisant la subjectivité et l'émotion dans le comportement des peuples. Il partage ainsi le monde en trois blocs, l'Occident américano-européen, le monde islamique et le monde asiatique. Chacun de ces mondes a été nourri par son histoire et il en découle des sentiments de peur pour le premier, d'humiliation pour le second et d'espoir pour le dernier. Ces fractures sont telles que la progression de tous vers une démarche commune est pour le moins incertaine et au mieux risque de prendre beaucoup de temps. (voir article de la revue Echanges DFCG sur le sujet )

 

Alternativement, nous pourrions rechercher ensemble comment résoudre la quadrature du cercle en essayant de permettre à tous d’appliquer cette magnifique formule de James Cameron : "J’adore l’idée de faire de l’argent en faisant le bien… surtout si elle se déroule dans cet ordre là."

 

Pour ce faire, il va nous falloir déployer des capacités de créativité assez éloignées des discours convenus sur les bienfaits de la régulation et les méfaits de l’économie de marché. Vivre avec l’incertitude, ne pas avoir peur de demain, gérer par scénarii, faire au quotidien les petits pas qui conduisent à la réalisation d’un plan global dont les contours ont été dessiné à grands traits mais dont la mise en œuvre ressort de multiples touches dont la perception à l’identique de celle d’un tableau impressionniste s’apprécie mieux lorsqu’on prend du recul.

 

Jean-François CASANOVA

Président de Strategic Risk Management

Publié dans Energies nouvelles

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