Jose-Luis Duran (Président de Devanlay, ex Carrefour) s'exprime sur son expérience de développement dans les pays émergents

Publié le par Risk-value

Investir dans les pays émergents : un pari jamais perdu, mais jamais gagné non plus !


Invité par l’AFPLANE à partager son expérience  de développement sur les pays émergents au sein du Groupe Carrefour, José-Luis Duran a tout de suite posé le décor en indiquant :

« On ne peut pas ne pas y aller, mais y aller n’est pas sans difficultés ! Cela suppose un investissement en temps et en ressources important et de plus, un risque de remise en cause extrêmement rapide. Les changements rapides d’environnement des économies à croissance rapide imposent donc un équilibre de portefeuille d’activités entre pays émergents et pays matures, les seconds jouant le rôle d’amortisseurs face à la volatilité des premiers. »


On l’aura compris, l’exercice est difficile, les risques peuvent parfois être maitrisés, mais parfois ils ne le peuvent pas et la seule sortie possible est alors le désengagement du pays.

8
facteurs de succès


La méth
ode proposée par José-Luis Duran repose sur son identification de 8 facteurs de succès :

  1. Analysez votre capacité à « monter sur le podium » pour optimiser votre allocation de ressources et de risques (faîtes une cartographie de la concurrence et de vos propres ressources)
  2. Préparez-vous à des futurs probables mais aussi moins probables (faites des budgets mais aussi des stress tests créatifs)
  3. Trouvez un bon partenaire, un entrepreneur local associé à la gestion et capable de comprendre  un processus d’investissement, des accidents de parcours et des problématiques de développement (préférez un partenariat avec un entrepreneur local qu’avec un politique ou un financier)
  4. Gérez vos partenaires en tenant compte de leurs avis (n’ayez pas un comportement « impérialiste » et acceptez les différences culturelles locales)
  5. Privilégiez les stratégies immédiatement opérationnelles au quotidien aux grands plans stratégiques (la stratégie doit se construire et s’adapter dans l’action, le faire est préférable au dire)
  6. « Tropicalisez » les COMEX locaux (plus les dirigeants seront locaux, plus vous collerez à la réalité locale et plus facile sera l’adoption de vos méthodes de travail)
  7. Conservez la maîtrise de la finance (les fonctions finance et contrôle doivent être laissées hors du champ d’exercice des locaux)
  8. Refusez la corruption, mais aidez au développement local (ne vous laissez pas griser par des affaires trop rapides, ne faites pas de politique, construisez des routes, des écoles et des dispensaires si besoin, mais ne financez ni les hommes ni les partis)


Quelques exemples


Au Mexique, Carrefour détenait 3% de part de marché et était le 8ème acteur local. Il ne perdait pas d’argent, mais n’en gagnait pas non plus. Ses possibilités de monter sur le podium (être parmi les trois premiers), et donc d’augmenter sa valeur ajoutée, étaient faibles. Le Mexique a été cédé, ce qui a permis de multiplier par trois les investissements au Brésil.


Entre 1980 et 2000 l’Argentine est un modèle de développement réussi avec la plus forte croissance du groupe. Chaque hypermarché fait 100 millions d’euros de CA, c’est un investissement profitable qui ne pose pas de problème particulier avec un personnel facilement disponible pour l’expatriation.


En 2001 de mauvaises acquisitions et une crise économique violente se conjuguent pour entraîner une perte de plusieurs centaines de millions d’euros que seul un bilan de la taille de celui de carrefour peut supporter.  En 12 mois, vingt ans de gains ont été effacés. La taille des hypermarchés a été réduite de 8-10.000m2  à 3-4.000m2 sur un marché sans clients et sans marchandises. La reconstruction demandera certainement 6 à 7 ans. L’impact d’image n’est pas épargné et il y a toujours un banquier pour demander « A quand le prochain accident en argentine ? »


Un malheur n’arrivant jamais seul, le développement engagé dès 1973 au Brésil se voit mis en péril en 3 ou 4 ans entre 2000 et 2004. Après quelques hypermarchés ratés, une stratégie multi-canal,  des rachats de supermarchés hasardeux, la reconstruction a demandé la fermeture de 50% des hypermarchés acquis, et le développement du Cash & carry. Le redressement a été spectaculaire : Aujourd’hui, le Brésil représente le troisième chiffre d’affaires du groupe et la troisième profitabilité. Rien n’est jamais perdu ! La tropicalisation de l’équipe dirigeante peut être notée comme la leçon de cette expérience. 


Changeons de continent. En octobre 2006 Carrefour ouvre, en présence de Christine Lagarde, son 1000ème magasins. Carrefour est un grand ami de la Chine: Il s’est installé à Shanghai en 1996, au milieu d’un no man’s land, propriété de la ville et de l’armée, qui comptait 3 ans plus tard 4 millions de personnes.  Il a noué un grand nombre de partenariats locaux qu’il a toujours respecté,  et rien ne peut lui arriver. Les Jeux Olympiques se préparent. Le passage de la flamme olympique donne lieu à de nombreuses manifestations : En avril 2008, lors d’un dîner à Paris avec un partenaire de Shanghai, celui-ci reçoit un SMS annonçant le boycott de Carrefour. Trois cents millions de SMS ont été envoyés au même moment : C’est la puissance de la communication du XXIème siècle. Quelques jours plus tard José-Luis est convoqué à l’Ambassade, où on lui demande de donner une interview au Journal du dimanche dans laquelle il réaffirmera sa conviction profonde selon laquelle la Chine est un pays formidable. Néanmoins, les Chinois se sont senti offensés par la réaction des Occidentaux. Une semaine plus tard, 1.000 manifestants devant chaque supermarché, encore une semaine plus tard, 10.000 manifestants par hypermarché et 1.000 policiers pour les contenir:  Visitant à Pékin l’un de ses hypermarchés,  José-Luis entouré par la foule des manifestants et des policiers se sent naturellement plus impressionné que par l’inauguration de son millième magasin en 2006. Tout cela n’est pas bon pour le commerce !


Mais rien n’est jamais perdu ! Un grand tremblement de terre frappe Chengdu dans la province du Sichuan. Carrefour est le seul à laisser ses magasins ouverts, à offrir ses produits et à mettre ses parkings à la disposition de la Croix-Rouge et de l’armée.  Avec la reconstruction de l’amitié, le problème a pu être résolu sans argent et par un simple relationnel. Un peu d’argent pour quelques fondations entretiennent l’amitié mais rien de vraiment significatif.


Deuxième leçon, l’amitié garde en Chine une grande valeur. Le concept d’amitié « à la chinoise » est entier, on est ami ou ennemi.  On applique alors la leçon précédente et on sinise le comité exécutif mais on n’oublie pas non plus l’importance du relationnel et le fait que chaque changement de patron, même local, peut entraîner un turnover très important si le nouveau patron n’a pas la crédibilité nécessaire aux yeux des chinois.  Le patron de la Chine, pourtant fort d’une expérience particulièrement réussie en Argentine n’a tenu que 6 mois.


Troisième leçon : il ne faut pas hésiter à être très réactif. « N’hésitez jamais, doutez toujours ».


Toujours en Chine, Carrefour décide de rendre visible et opérationnelle au quotidien ses efforts de réduction d’énergie. Il  investit 1 million d’euros par magasin pour diminuer de 25% sa consommation d’énergie.  Le ministère du Commerce chinois lui demande de mettre à sa disposition deux des initiateurs du projet pour dupliquer le modèle. Geste amical ? Transfert de technologie ? « Ce n’est pas très important, ce qui est important c’est de faire et de le faire savoir, cela vaut tous les messages marketing ».


Un retour d'expérience riche d'enseignements pratiques...


José-Luis Duran s’est quelque peu écarté du thème du 22e colloque de l'Afplane : « Quel futur pour les pays émergents ? La méthode des scénarios », mais son intervention devant les étudiants de l’ESG a eu le mérite de présenter une méthodologie pratique de gestion qui présente le mérite de pouvoir être appliquée à tous les marchés émergents ou non.


En termes de futur des pays émergents, on retiendra que José-Luis « préfère l’action à la parole, la Turquie à la Russie, la Colombie à l’Inde », sans  doute une conséquence du fait que plus les discussions sont longues, plus l’horizon est lointain, plus il est   incertain. Sans doute faudrait il aussi rappeler que cela est souvent la conséquence d’une difficulté à trouver le « bon partenaire ». José-Luis faisait remarquer que l’investissement dans les  économies émergentes requiert  « un investissement en temps et en ressources important ». C’est effectivement le temps qui permet de comprendre le mieux des cultures qui nous sont parfois étrangères. Sans cette compréhension des hommes dans leur milieu, il est effectivement difficile de trouver le bon partenaire. Tout cela a bien évidemment un coût qu’il convient d’arbitrer au regard d’une équation de coût bénéfice pondérée par les risques.


Le risque de remise en cause extrêmement rapide de l’Argentine à la Corée en passant par la Chine et le Brésil, plusieurs fois mis en avant, positionne l’investisseur en pays émergent dans une situation de vendeur d’options sur un marché financier. Tous les jours qui passe, et aussi longtemps que la volatilité ne fluctue pas trop, il va engranger de petits profits mais il se sait exposé à une augmentation subite de la volatilité qui peut en un seul jour lui faire perdre tout, et plus, de ses gains lentement accumulés. Grâce aux marchés financiers, le trader d’options peut toujours se couvrir en achetant d’autres options. L’investisseur en pays émergent peut au mieux, comme l’indiquait José-Luis, compter sur la taille de son capital et diversifier son portefeuille entre pays émergents à croissance rapide et pays matures à croissance lente. En cas de retournements majeurs le facteur d’amortissement est cependant assez limité.


Le modèle reste donc à inventer pour gérer la volatilité des revenus tirés des pays à croissance rapide. La méthode des scénarios est une première étape, mais une étape essentielle, pour identifier les facteurs risque qui pourraient servir à gérer ce risque.

Publié dans Gérer l'incertitude

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article